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Après 28 ans de bons et loyaux services, une douzaine d’albums classieux et remarquables, Bernard Sellam, la mort dans l’âme et le moral dans les chaussettes, a choisi sciemment de quitter AWEK, en bons termes, sans s’écharper comme des barbares, comme un vieux couple qui se sépare sans casser la vaisselle ni la potiche en porcelaine d’Extrême-Orient de la belle-mère, pour ne pas sombrer dans la facilité, ni dans une certaine routine qui aurait pu tuer son inspiration et sa virtuosité. En effet, jouer le blues dans un rocking-chair et en charentaises, par habitude, comme un jeune cadre dynamique enfourche sa trottinette mécaniquement tous les matins pour rejoindre sa multinationale, costard de chez Smalto aux quatre vents et dents qui rayent l’asphalte, n’est pas la marque de fabrique, ni l’ADN de la maison Sellam. Et encore une fois, malgré d’excellents albums et des tournées internationales dantesques avec AWEK. Il a choisi de se remettre en question et de relancer sa carrière de musicien de blues, comme pour lui donner un second souffle et lui injecter une bonne dose de stimulants et d’anabolisants, avec courage et audace et c’est tout à son honneur. Dorénavant, Bernard Sellam a pris la route sinueuse, mais ô combien excitante, du blues West-Coast et du rhythm & blues du Texas, avec quelques nuages de jump et des intrusions dans le swing cuivré et le shuffle festif, comme les ambiances surchauffées au sein des dancefloors des années 40/50. Bernard Sellam nous propose un blues made in Baie de San-Francisco, teinté de jazz, un blues sophistiqué à la T-Bone Walker, Pee Wee Crayton, l’extension urbaine du Texas-Blues en somme... Outre les deux bluesmen emblématiques du style susnommés, on peut également citer Lowell Fulson, Jimmy McCracklin ou encore Johnny "Guitar" Watson... Bernard Sellam a toujours son jeu de guitare subtil et loquace et cette voix chaleureuse, chaude et sensuelle, ardente et prompte à s’enflammer et à enflammer le public. L'album "Feelin' So Fine" propose 15 pépites accrocheuses, dont 8 titres originaux et 7 covers parfaitement accaparés avec brio à la sauce Sellam & The Boyz From The Hood, comme par exemple “You Got Me Reeling And Rocking “ de Roy Milton, “You Were Wrong” de Z.Z. Hill ou “Midnight Hour” de Clarence “Gatemouth” Brown… sans oublier l’incontournable T-Bone Walker, Brook Benton, Jimmy Lewis, etc... Malgré un physique de déménageur breton, de bodyguard à la Maison Blanche, de fort des Halles de Paris ou de physionomiste d’une boîte de nuit interlope et lubrique de Bogota, Bernard Sellam est incontestablement un musicien d’un esthétisme et d’une finesse incroyables et un auteur/ compositeur hors pair. Pour la totale réussite de cet opus, il s’est entouré du nec plus ultra des musiciens de West-Coast Blues: The Boyz From The Hood, à savoir: Eric Church Léglise à la basse, Julien Bigey à la batterie, ainsi que d’une section de cuivres flamboyante composée de Franck Mottin, Manu Lochin et David Cayrou. Des cuivres de haute lignée qui pourraient donner des cours particuliers de groove et de feeling au saxophoniste Jake Clemons, que je situe entre un garçon-boucher et un massacreur de la Saint-Barthélemy. Sans oublier les guests: le britannique Drew Davies au sax, grand spécialiste du swing et du rock’n’roll noir des années 50, qui fait le grand écart entre Louis Jordan et T-Bone Walker. Anita Fabiani au piano, excellente musicienne de Toulouse, figure de proue de Carmela Blues Trio. Et Rémi Vidal au trombone, échappé pour l’occasion du conservatoire de Toulouse. Il était pourtant attendu au tournant par certains, attendu comme le Messie par d’autres, quoi qu’il en soit, Bernard Sellam a réussi son pari de bien belle façon, avec cet album fastueux et somptueux, que je qualifie d’INDISPENSABLE!
Serge SCIBOZ, Paris-Move, 16/04/2023